«Ce qui m'intéresse dans la vieillesse, c'est que d’une manière ou d’une autre, elle constitue toujours un sujet de discussion»

De Stephanie Cengiz, 13. novembre 2024

Un article passionnant de l'EPF de Zurich a attiré notre attention sur Julian Pfrombeck, qui s'intéresse à la diversité des âges et au vieillissement dans le monde du travail. Nous avons été surpris de découvrir que Julian n'habitait pas seulement à l'autre bout du monde, mais qu'il était aussi nettement plus jeune que le groupe cible de sa recherche. Cela a éveillé notre curiosité et nous a poussés à en savoir plus sur lui et sur ses études.

Julian, merci de consacrer un peu de ton temps à répondre à nos interrogations. Tu mènes depuis longtemps des recherches sur les thèmes du travail, de l'âge, de la cohabitation des générations et des équipes d'âges différents sur le lieu de travail, du chômage, etc. Tu es toi-même né en 1990, tu ne fais donc pas encore partie de ton groupe cible de recherche. Comment se fait-il que ce domaine thématique t'intéresse autant?

Un grand merci à ma directrice de thèse de doctorat, la professeure Gudela Grote, à l'EPF de Zurich. Elle m'a encouragé à étudier de plus près le thème de l'âge et de l’évolution démographique dans le contexte du travail. C'était il y a moins de dix ans. Aujourd'hui, on entend (heureusement) de plus en plus souvent parler du changement démographique, y compris dans les médias.

Ce qui m'intéresse dans l'âge, c'est que d’une certaine manière constitue toujours un sujet de discussion. Quand on est enfant, on aspire souvent être un adulte. Plus on vieillit, plus on aimerait retenir sa jeunesse - ou pas. Je trouve le thème de l'âge ou du vieillissement passionnant, car il ne s'agit pas seulement d'un nombre qui chiffre en années son propre âge ou celui des autres.. Un certain âge est souvent associé à certaines attentes. Certains de ces stades portent une connotation positive - par exemple le fait que l'on devient plus expérimenté et plus raisonnable avec l'âge. Pour d’autres, elle est plutôt négative, par exemple lorsqu'on dit que les personnes âgées ne sont pas prêtes au changement. Le domaine de recherche sur l'âge englobe donc des thèmes allant des interactions, des préjugés, des stéréotypes, de la discrimination aux attentes et objectifs personnels.

En particulier lorsqu'il s'agit de la diversité des âges sur le lieu de travail, le mentorat classique «les vieux enseignent aux jeunes» est souvent représenté ou constitue la norme. Tu as lancé une étude à ce sujet. Il s'agit de savoir comment - et surtout quand - les différentes générations apprennent les unes des autres. Quelles ont été tes conclusions?

C'est vrai! Classiquement, les entreprises sont souvent convaincues que le transfert de connaissances entre les jeunes et les travailleurs plus âgés s’effectue de manière principalement unilatérale. Pourtant, de plus en plus d'études montrent que les jeunes comme les anciens peuvent tirer profit du transfert de connaissances intergénérationnel. C'est précisément là que notre étude intervient. Nous voulions examiner comment le fait de demander des informations, des conseils et des idées à leurs collègues de travail plus jeunes pouvait avoir un impact sur la motivation et la capacité de travail perçue des employés plus âgés. Pour ce faire, nous avons interrogé plus de 700 salariés âgés de 50 ans et plus. Il s'est avéré que les travailleurs qui sollicitent plus souvent les connaissances de leurs collègues plus jeunes apprennent davantage et sont donc plus motivés pour continuer à travailler et présentent une plus grande capacité de travail en général. Mais nous avons aussi trouvé un effet secondaire négatif. En raison des normes et des attentes sociales, le fait de poser des questions à des collègues plus jeunes peut être source d'embarras, surtout pour les collaborateurs expérimentés et âgés. Cet effet s'est surtout manifesté lorsque les personnes en demande nourrissaient elles-mêmes des réserves quant au contact intergénérationnel.

Je peux peut-être m'arrêter un instant sur la notion de «générations». Parce qu'en fait, il est un peu problématique. Les médias parlent souvent des différences ou des conflits entre les générations. Pourtant, des études scientifiques montrent qu'il y a beaucoup d'exagération. Le fait est qu'il existe des effets de l'âge, c'est-à-dire qu'en prenant de l’âge, certains intérêts changent par exemple. Une étude publiée récemment montre également que les événements de l'histoire contemporaine jouent un rôle dans la motivation au travail. Mais attribuer des valeurs ou des motivations différentes à des personnes nées quelques années plus tôt ou plus tard est problématique et peu fondé sous l’aspect empirique. C'est pourtant cette approche qui est souvent privilégiée avec le concept de génération. Par exemple, on appartient à la génération Y si on est né en 1996, et déjà à la génération Z si on est né en 2000. Je pense qu'il faudrait ici se défaire de cette classification rigide.

Qu'est-ce que cela signifie en termes de diversité des âges sur le lieu de travail? Ou, pour le dire autrement: quels enseignements les entreprises peuvent-elles en tirer ?

Elles peuvent en conclure que l'échange de connaissances entre les jeunes et les travailleurs plus âgés profite aux deux parties. L'échange de connaissances entre les différents âges peut être motivant et favoriser la capacité de travail. Mais seulement si une volonté d’échange de ce type existe. Celui qui a des préjugés ou des normes fortement ancrées aura du mal à accepter le savoir ou les conseils d’une personne plus jeune ou plus âgée. Pour lutter contre les préjugés ou certaines représentations négatives de la norme, les entreprises pourraient essayer de renforcer les contacts informels. Car c'est souvent ainsi que l'on se rend compte à quel point on peut se ressembler, même si 20 ou 30 ans nous séparent de notre collègue.

Je trouve le thème de l'âge ou du vieillissement passionnant, car il ne s'agit pas seulement d'un nombre qui chiffre en années son propre âge ou celui des autres.

Antonia Jann

Une autre étude intéressante que tu as menée a montré qu'une brève intervention psychologique avec des auto-affirmations positives peut aider dans le processus de candidature.

Perdre son emploi ou être au chômage n'est pas une expérience agréable pour la plupart d’entre nous. On peut se sentir inutile, recevoir des réponses négatives, avoir des craintes et devoir sans cesse se reprendre pour la candidature suivante. Cette situation provoque beaucoup de tension et de stress. C'est sur ce point que nous nous penchons avec notre étude. Nous avons pu montrer que les demandeurs d'emploi qui ont pratiqué un exercice d'auto-affirmation positif ont ensuite reçu plus d'offres d'emploi sur une période d'un mois et ont trouvé un nouveau travail plus rapidement que les personnes qui s’en sont exonérées.

Comment pouvons-nous nous représenter cet exercice d'auto-affirmation?

L'exercice en lui-même consiste tout d'abord à choisir parmi une liste de valeurs (par exemple la santé, le sport et la forme physique, la nature ou le plaisir d'apprendre) celles qui sont les plus importantes pour soi. Ensuite, on justifie dans un texte pourquoi ces valeurs sont si centrales à titre personnel. Cela permet de rappeler qui l'on est et ce que l'on défend. Cette approche peut, à son tour faire, une grande différence dans le processus de candidature, car on peut oser postuler à un emploi plus exigeant, même si l’on est pas tout à fait sûr de pouvoir y répondre. Ou alors, il se peut que l'on se présente avec plus d'assurance lors du processus de candidature et que l'on soit ainsi plus convaincant.

Quelles étaient les principales différences entre les générations? Ou n'y en avait-il pas du tout?

Aucune différence n'a été constatée entre les différents groupes d'âge. Cela peut paraître étonnant au premier abord, mais après tout, chaque âge comporte certains défis ; qu'il s'agisse par exemple de l'entrée dans la vie professionnelle à un jeune âge, des attentes sociales et des obligations financières à un âge moyen ou de la perception de l'âgisme à un âge avancé.

Attribuer des valeurs ou des motivations différentes à des personnes nées quelques années plus tôt ou plus tard est problématique et peu fondé empiriquement.

Antonia Jann

Sur la base des résultats de tes recherches: Quels conseils donnerais-tu aux collaborateurs qui se trouvent dans la deuxième moitié de leur carrière?

Il m'est difficile de donner des conseils aux collaborateurs se trouvant dans la deuxième moitié de leur carrière (mot-clé: normes sociales - je me situerais encore tout juste dans la première moitié). Mais c'est peut-être aussi le mot-clé. Je pense qu'il ne faut pas trop se laisser influencer par l'âge. On entend souvent dire qu'on est trop vieux pour faire ceci ou cela, ou qu'on ne peut pas faire ceci ou cela parce qu'on est trop vieux (ou trop jeune). Que ce soit pour apprendre les uns des autres ou pour trouver un emploi : Même si l'on rencontre des obstacles ou des problèmes, ou si l'on est parfois regardé de manière étrange - je ne minimise pas ce fait - il ne faut pas se laisser détourner de ses objectifs en raison de son âge.

Après l'EPF de Zurich, tu as passé un certain temps à l'Université Columbia de New York. Depuis octobre 2023, tu travailles comme chercheur à l'Université Chinoise de Hong Kong. Quelles sont tes expériences: Y a-t-il des différences entre les différents pays et les différentes cultures en ce qui concerne ton domaine de recherche?

Je ne suis pas un expert en matière de différences culturelles. Mais je trouve que c'est une question passionnante. L'hypothèse générale est peut-être que les personnes âgées sont plus valorisées dans les cultures asiatiques. Mais les résultats d'une étude montrent que cette hypothèse n'est pas nécessairement vraie. Ils indiquent qu'une société plus vieillissante va de pair avec des attitudes plus négatives envers les personnes âgées. C'est un constat important dans le contexte de l'évolution démographique de la Suisse. Il nous montre que c'est justement maintenant qu'il est important d'informer et d'agir activement contre les préjugés négatifs et la discrimination liés à l'âge.

Une belle conclusion. Merci beaucoup, Julian.

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