Que signifie «le taux de chômage le plus faible depuis plus de 20 ans»?

De Stephanie Cengiz, 26. janvier 2023

En 2022, nous avions en Suisse le taux de chômage le plus bas depuis plus de 20 ans! Chez Loopings, nous avons demandé à des expert·e·s de nous expliquer les raisons de ce changement et ce qu’il signifie pour les demandeuses et demandeurs d’emploi âgé·e·s et pour l’avenir du marché du travail suisse. Dans cette interview groupée, vous découvrirez des informations de fond, des estimations et des pronostics de Simon Wey de l’Union patronale suisse, de Thomas Bauer de Travail.Suisse, d’Anina Hille de la Haute École de Lucerne, de Michael Hasler de newplace AG et d’Erika Bachmann de l’ORP Staffelstrasse à Zurich.

Pourquoi le taux de chômage était-il aussi bas en 2022? Comment s’est produit ce changement rapide sur le marché du travail (notamment par rapport à 2020/2021)?

Simon Wey, Union patronale suisse: Le faible taux de chômage montre à quel point le marché du travail est asséché. L’enquête du centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’EPF montre également que de très nombreuses entreprises continuent de percevoir la pénurie de main d’œuvre comme un obstacle au quotidien. Une cause importante de l’évolution rapide sur le marché du travail a été la reprise économique plus forte que prévu et presque simultanée sur la scène internationale après la levée de nombreuses mesures restrictives de protection contre le coronavirus. Les entreprises se précipitent presque toutes en même temps sur les personnes en recherche d’emploi.

Thomas Bauer, Travail.Suisse: La pandémie de corona a été suivie d’une reprise économique rapide. L’effondrement économique étant dû aux mesures de lutte contre la pandémie, la conjoncture a redémarré après la levée de ces mesures. En conséquence, la demande de main d’œuvre a sensiblement augmenté. Enjoliver la situation serait toutefois une erreur. Fin 2022, 168 000 personnes étaient encore inscrites en demande d’emploi dans un ORP. Au total, le nombre de personnes sans emploi, si l’on tient également compte des personnes qui ne peuvent plus percevoir d’indemnités journalières de l’assurance-chômage, reste largement supérieur à 200 000. Face la pénurie de main-d’œuvre en partie généralisée, je trouve que ce chiffre est élevé. Depuis les années 1990, le chômage structurel a presque constamment augmenté. Cela montre que dans l’intérêt de tous, nous devrions investir beaucoup plus dans la formation et la formation continue des travailleurs.

Michael Hasler, newplace AG: Après le ralentissement lié au Covid, nous assistons actuellement à une reprise économique, voire à un redressement sensible. La reprise de la conjoncture s’explique notamment par l’effet de rattrapage après deux années de pandémie. Cela a également un effet positif sur le marché du travail, qui comporte actuellement un grand nombre de postes vacants. Les besoins en personnel qualifié ont sensiblement augmenté dans presque toutes les régions et tous les secteurs en Suisse.

Erika Bachmann, ORP: Nous l’attribuons principalement à ce que nous appelons les effets de rattrapage après la pandémie. En raison des mesures liées au Covid, l’économie était temporairement comme gelée. Après la levée des mesures, l’économie a redémarré, ce qui a également des répercussions sur le marché du travail. Parallèlement, la pénurie de main d’œuvre qualifiée, qui pose problème à de nombreux secteurs, se fait ressentir.

Qu’est-ce que cela signifie pour les demandeuses et demandeurs d’emploi âgé·e·s? Comment se présente leur situation?

Michael Hasler, newplace AG: Pour les entreprises, il est devenu plus difficile d’une manière générale de trouver de nouveaux collaborateurs·trices au bon moment – et cela ne changera probablement pas au cours des mois à venir. En cas de demande accrue de main d’œuvre qualifiée associée à une réduction de la disponibilité des ressources ainsi qu’en raison de l’évolution démographique d’une manière générale, les demandeurs·euses d’emploi âgé·e·s jouent un rôle de plus en plus important. On peut supposer que les chances pour les professionnel·le·s plus âgé·e·s sur les marché «asséchés» vont s’améliorer et que ces personnes pourront se positionner comme une ressource précieuse. Les entreprises restent néanmoins encore très réservées face aux personnes en reconversion.

Anina Hille, HSLU: A mes yeux, nous connaissons actuellement non seulement une pénurie de main d’œuvre qualifiée, mais aussi une pénurie de main d’œuvre tout court. De ce fait, les personnes en recherche d’emploi sont dans une situation de force. Cela devrait avoir tendance à augmenter les chances des salarié·e·s et des demandeurs·euses d’emploi plus âgé·e·s ainsi que des personnes aux CV non linéaires, par exemple.

Simon Wey, Union patronale suisse: Cette situation de pénurie accentuée de main d’œuvre place les personnes sans emploi dans une bonne position de départ en matière de recherche d’emploi, quel que soit leur âge. De plus, ce qu’on oublie souvent est que les personnes actives perdent moins souvent leur travail en période de pénurie de main d’œuvre. Selon moi, les mesures doivent justement porter sur les personnes actives: les personnes plus âgées, en particulier, ne doivent pas perdre leur emploi.

Erika Bachmann, ORP: En raison de la situation actuelle sur le marché du travail, il est devenu plus facile de trouver un nouvel emploi d’une manière générale. Les demandeurs·euses d’emploi âgé·e·s en profitent également. Ces personnes devraient néanmoins continuer à s’efforcer de maintenir leurs compétences numériques à jour. C’est vrai pour toutes les personnes actives.

Thomas Bauer, Travail.Suisse: Le nombre de personnes âgées (55 à 64 ans) inscrites en recherche d’emploi auprès des centres de placement a baissé de 6% par rapport à la période précédant la pandémie (2019). Cela montre que pour les salarié·e·s âgé·e·s, les chances de retrouver un emploi n’ont pas été aussi bonnes depuis longtemps. En comparaison avec les personnes en recherche d’emploi d’âge moyen, néanmoins, le recul n’est même pas deux fois moins important. Cela montre que les travailleurs·euses âgé·e·s en recherche d’emploi restent confronté·e·s à des obstacles nettement plus importants lors de leur retour au travail que les travailleurs·euses plus jeunes. Le fait qu’au cours des dernières années, le licenciement des travailleurs·euses âgé·e·s ait été banalisé, que les employeurs soient trop déresponsabilisés dans le domaine de la formation continue et que la discrimination à l’embauche des travailleurs·euses âgé·e·s persiste dans de nombreux endroits conduit donc à une situation durablement insatisfaisante.   

Selon toi, quelle sera la situation dans cinq ans?

Thomas Bauer, Travail.Suisse: L’avenir est incertain. C’est également vrai en ce qui concerne le développement économique. Nous pouvons toutefois partir du principe que pour des raisons démographiques, le nombre de départs sera nettement supérieur au nombre d’arrivées dans les années à venir par rapport à ce que nous avons connu jusqu’ici. Les départs seront environ de 500 000 personnes supérieurs aux arrivées. Il y a encore 10 ans, cette disproportion n’était que d’environ 250 000 personnes. C’est pourquoi le thème de la pénurie de main d’œuvre devrait continuer à nous accompagner pour des raisons démographiques. Il est donc dans l’intérêt général de mieux qualifier les personnes sans emploi et de permettre à l’ensemble des travailleurs·euses de faire face aux changements structurels. Au début des années 1990, le taux de chômage de la Suisse était inférieur à 2%. Aujourd’hui, malgré la pénurie de travail postulée partout, il dépasse 4%. Il ne peut pas en être ainsi. Nous voyons par ailleurs que la participation au marché du travail diminue sensiblement avec l’âge. Il convient donc également d’améliorer la protection de la santé des travailleurs·euses et les conditions de travail d’une manière générale. Ici aussi, nous prenons trop peu au sérieux les risques existants et à venir dans le monde du travail. C’est notamment pour cela que les syndicats et les associations professionnelles sont nécessaires.

Anina Hille, HSLU: Je ne peux pas faire de pronostic. Les pronostics conjoncturels actuels me rendent pessimiste. Si nous sommes effectivement en train d’assister à un squeeze global des profits, c’est-à-dire à une baisse des bénéfices des entreprises en raison d’une hausse des coûts ne pouvant pas être répercutée sur les client·e·s, de nombreuses entreprises pourraient glisser dans le rouge. Un tel scénario aggraverait la situation de départ sur le marché du travail pour les demandeurs·euses d’emploi – malgré les changements démographiques qui montrent clairement qu’en Suisse et en Allemagne, par exemple, il y a moins de jeunes qui arrivent sur le marché du travail que de personnes âgées qui partent à la retraite.

Erika Bachmann, ORP: Nous ne prévoyons pas de forte hausse du taux de chômage à moyen terme, mais un pronostic sur cinq ans reste difficile à prononcer. La pénurie de personnel qualifié et de main d’œuvre continuera certainement de nous occuper pendant longtemps. Ne serait-ce que pour des raisons démographiques: le nombre de personnes partant à la retraite est supérieur au nombre de personnes entrant sur le marché du travail. De plus, le marché du travail continue d’évoluer rapidement avec la numérisation. Non seulement les entreprises, mais aussi les ORP et les personnes en recherche d’emploi doivent suivre le rythme de cette évolution.

Michael Hasler, newplace AG: La tendance à prendre davantage en compte les demandeurs·euses d’emploi plus âgé·e·s dans les postes vacants n’est pas encore perceptible partout. L’avenir montrera si et dans quelle mesure les entreprises se focaliseront davantage sur les demandeurs·euses d’emploi âgé·e·s dans les cinq prochaines années pour pouvoir relever le défi d’une main d’œuvre qualifiée. Cela dépendra notamment de l’évolution de notre économie en général, de la manière dont les différents secteurs économiques se développeront, de l’ampleur du problème de la main d’œuvre qualifiée dans les années à venir, etc. Les demandeurs·euses d’emploi âgé·e·s peuvent représenter une partie de la solution à la pénurie de main d’œuvre qualifiée. Les entreprises ne pourront guère se passer de tout mettre en œuvre pour maintenir la capacité de travail (sur le marché du travail) de leur personnel indépendamment de l’âge et accorder plus d’attention au potentiel des salarié·e·s âgé·e·s.

Simon Wey, Union patronale suisse: Ce qui est clair, c’est que la pénurie de main d’œuvre restera un thème important dans les années à venir compte tenu de l’évolution démographique en Suisse et de la diminution croissante du volume de travail de la population active du pays.

Dr Thomas Bauer, responsable de la politique économique chez Travail.Suisse

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