Dans le cadre de son travail à l’Institut de psychologie de la personnalité et du diagnostic de l’Université de Zurich, Fiorina Giuliani s’intéresse au «Job Crafting». Nous avons voulu savoir ce qui se cache derrière cette appellation, ce qui motive cette nouvelle façon de travailler et comment on peut l’utiliser pour façonner activement son propre milieu professionnel.
Les Job Crafters sont des collaboratrices et des collaborateurs qui (re)conçoivent activement et de leur propre initiative leurs activités professionnelles sur la base de leurs besoins et de leurs compétences individuels sans recevoir d’instructions ou d’autorisation pour le faire. Par exemple, une étude fondée sur des interviews a montré que les membres du personnel de nettoyage d’un hôpital considéraient leur travail de manière très différente. Un groupe du personnel de nettoyage évaluait son activité de manière plutôt négative, la considérant comme faible et réduisant au minimum les interactions avec d’autres personnes. Un autre groupe du personnel de nettoyage voyait son travail dans un contexte plus élargi et le considérait positivement car leur contribution garantissait des conditions d’hygiène permettant aux patients de se rétablir. Cela les motivait à s’impliquer activement dans les processus du service et à échanger des idées avec le personnel du service. Par exemple, la chambre d’un patient dans le coma a été réaménagée pour pouvoir lui proposer régulièrement de nouvelles stimulations.
Le Job Crafting comprend trois niveaux. D’une part, les collaboratrices et collaborateurs peuvent adapter leurs activités professionnelles en acceptant ou en cédant des tâches. D’autre part, les collaboratrices et collaborateurs peuvent modifier l’interprétation de leurs activités en définissant différemment ou d’une nouvelle manière l’objectif et le bénéfice de leur activité. Enfin, les relations de travail peuvent être établies ou modifiées. Il s’agit notamment de la fréquence et de l’intensité de la collaboration, de la communication ou de la coopération, ainsi que du choix des personnes avec lesquelles travailler dans le cadre d’un projet. Le Job Crafting a généralement pour objectif de permettre une meilleure adéquation entre la personne, l’activité professionnelle et l’entreprise.
Selon Tims et Bakker (2010), les collaboratrices et collaborateurs peuvent ainsi transformer leur travail de trois façons. Premièrement, en augmentant les ressources sociales ou structurelles. Concrètement, cela signifie rechercher le soutien de collègues ou le retour d’informations de la part des responsables sur le plan social, ou accroître leur autonomie et améliorer leurs compétences sur le plan structurel. Deuxièmement, elles ou ils peuvent se mettre en quête de nouveaux défis et accroître les exigences du travail. Rechercher des nouvelles tâches et assumer des responsabilités. Troisièmement, elles ou ils peuvent également réduire les exigences émotionnelles, mentales ou physiques associées au travail afin de ne pas négliger leur vie privée. Concrètement, cela peut se faire en recherchant le soutien de collègues. La troisième voie est toutefois controversée, car elle pourrait aussi être le signe d’un manque de motivation.
En général, les études font état d’un certain nombre de conséquences positives du Job Crafting. Une méta-analyse a montré que le Job Crafting donne à la population active une plus grande satisfaction professionnelle, un engagement accru au travail, une meilleure performance professionnelle et un niveau de stress plus faible. Il convient toutefois de souligner que le Job Crafting n’a ces conséquences positives que lorsque les ressources ou les exigences augmentent. Lorsque les exigences liées au travail diminuent, en revanche, on trouve des corrélations négatives - mais non significatives - avec les caractéristiques mentionnées.
Dans l’ensemble, il est conseillé de ne pas laisser le Job Crafting au hasard, mais de le promouvoir activement. Il convient toutefois de noter que le Job Crafting ne peut être obtenu de force. Néanmoins, il est possible de créer des conditions favorables. Une façon d’impliquer l’employeur et les collègues est de promouvoir activement le Job Crafting sur le plan organisationnel. On peut par exemple attirer l’attention sur les différentes pratiques du Job Crafting et promouvoir consciemment celles qui sont bénéfiques en matière d’organisation grâce à un Job Crafting Plan personnalisé. Il est également important de ne pas se contenter d’élaborer un plan, mais d’accompagner en permanence le processus par des échanges et une réflexion. Une étude scientifique a montré que cette approche accroît les émotions positives, l’auto-efficacité et les ressources d’activité. Toutefois, la manière d’accroître le comportement de Job Crafting devra faire l’objet de recherches plus approfondies. De manière générale, il est judicieux d’impliquer davantage les managers dans le Job Crafting afin montrent l’exemple et soient source d’inspiration, qu’ils créent un climat de communication ouvert et une culture du retour d’information ou qu’ils renforcent les comportements souhaités en matière de Job Crafting.
Le Job Crafting peut être associé à une multitude de résultats souhaités. Ainsi, des corrélations positives importantes avec l’engagement au travail et des corrélations positives moyennes avec la satisfaction au travail ont été mises en évidence dans des études scientifiques. Cela peut à son tour avoir un effet positif sur l’atmosphère de travail et entraîner une coopération productive. Le Job Crafting a également un effet positif sur les performances au travail et sur les comportements volontaires, qui sont bénéfiques au travail et à l’organisation. En outre, le Job Crafting peut aider à gérer les changements organisationnels et est particulièrement fréquent chez les collaboratrices et collaborateurs de différents niveaux hiérarchiques et ayant des emplois très complexes et difficiles. Plus le Job Crafting est élevé, plus le stress et la rotation sont faibles. Cependant, les différents sous-dimensions du Job Crafting peuvent avoir des effets variés. Des influences favorables sur la motivation et les performances au travail peuvent être constatées dans les sous-dimensions «Augmentation des ressources» et «Quête de défis», tandis que la sous-facette «Réduction d’exigences» met en évidence une influence négative sur ces résultats.
La motivation à s’engager dans le Job Crafting découle généralement de l’un des trois besoins fondamentaux suivants: le besoin de contrôle, le besoin d’une image positive de soi et le besoin de relations interpersonnelles. Les collaboratrices et collaborateurs veulent façonner leur travail de manière à ce qu’il soit en phase avec leurs points forts, leurs objectifs, leurs souhaits et leurs convictions propres. L’objectif est donc de parvenir à une meilleure adéquation entre les actifs, le travail et l’organisation. Cependant, que le Job Crafting se produise ou non dépend non seulement de la motivation personnelle, mais aussi de facteurs situationnels. Ainsi, une marge de manœuvre suffisante et une importance personnelle élevée accordée au travail favorisent l’émergence du Job Crafting.
Le Job Crafting peut s’observer dans les groupes d’âges les plus variés. Cependant, l’âge réel ne joue qu’un rôle secondaire, c’est surtout l'âge subjectif - c’est-à-dire l’âge ressenti - qui est responsable de la conception active des tâches professionnelles. Les collaboratrices et collaborateurs âgés, mais qui se sentent jeunes, pratiquent souvent le Job Crafting. Cette constatation est précieuse dans la mesure où il est possible d’influencer l'âge subjectif et donc d’influencer positivement le processus de vieillissement des personnes âgées. Les résultats de recherches suggèrent également que les personnes qui pratiquent le Job Crafting considèrent plus fréquemment que leur travail a du sens. Avec l’âge, le temps qui reste à vivre est perçu comme plus court, de sorte que la priorité est donnée au travail opportun d’un point de vue personnel. Le Job Crafting offre une occasion idéale d’adapter son lieu de travail à ses propres souhaits et objectifs.
D’une manière générale, la tendance à initier le Job Crafting est liée à des traits de personnalité. Une personnalité pro-active, extravertie (en particulier capable de s’affirmer), méticuleuse, à l’esprit ouvert et tolérante est généralement associée au Job Crafting. De même, une attitude positive et une auto-efficacité générale, c’est-à-dire une grande confiance en ses propres capacités, sont mises en corrélation avec le Job Crafting. Les personnes qui sont d’une manière générale en quête de profit, de succès, ou d’aspiration sont plus susceptibles de remodeler activement leurs activités. La prise de conscience du fait que l’on peut devenir soi-même actif pour rendre son travail motivant peut conduire au Job Crafting. Souvent, ce ne sont pas seulement les grandes modifications, mais aussi les petites, qui conduisent à une augmentation de la motivation et à une meilleure utilisation de ses propres atouts. En revanche, les obstacles au Job Crafting peuvent être le cynisme, une attitude détachée ou indifférente à l’égard du travail, une focalisation sur la sécurité et l’évitement des pertes dans la poursuite des objectifs ainsi qu’une lourde charge de travail.
Le Job Crafting peut faire l’objet d’un entraînement conscient. Sur la base de l’«Original Michigan Job Crafting Intervention», six niveaux peuvent être suivis pour se former au Job Crafting. La première étape consiste à apprendre à mieux se connaître, c’est-à-dire à découvrir ses points forts et ses motivations personnelles. Dans un deuxième temps, les tâches et les obligations sont analysées et le temps nécessaire ainsi que leur importance sont documentés. La troisième étape consiste à comparer entre elles les deux premières étapes. Ensuite, des changements sont formulés et un plan d’action concret avec des objectifs et des comportements définis est mis en œuvre dans les quatre semaines suivantes. La cinquième étape consiste à évaluer les changements initiés, et la sixième à partager ses expériences sur les avantages et les obstacles des changements.