«Pour moi, un client satisfait est la plus belle des récompenses»

De Susanne Schild, 10. janvier 2022

Depuis janvier 2021, Marcel Zehnder est vendeur de vélos et copropriétaire du magasin de vélos «Bikezone» à Baden. Il occupait auparavant le poste de directeur général d’une entreprise de génie mécanique pendant 12 ans. Âgé de 52 ans, il vit avec sa femme et ses deux fils adolescents dans une maison à Birmenstorf AG, qu’il a lui-même rénovée.

Comment en es-tu venu à ce changement de carrière?

Plusieurs facteurs ont influencé ma décision: Pour commencer, cela faisait longtemps que je souhaitais me rapprocher professionnellement de ma passion. Cycliste amateur depuis 45 ans, j’aspirais depuis longtemps à me lancer dans l'industrie du vélo. J’ai également toujours eu un changement majeur tous les 10 ans auparavant dans ma vie professionnelle. J’occupais le poste de directeur général chez L+M depuis déjà 12 ans. Et je me suis posé plusieurs questions. Suis-je parti pour 20 ans à ce poste? Ou dois-je me diriger vers autre chose? Si oui, qu’est-ce que j’aimerais faire?

Après le décès de mon père l’an dernier, je me suis posé des questions que je ne me serais peut-être pas posées autrement. J’ai reflété sur mon parcours, ayant déjà une grande partie de ma vie derrière moi, et une question était inévitable: Est-ce qu’une carrière en tant que directeur général d’une PME me satisfera avec le recul? Le salaire est certes convenable, mais le stress continu, au détriment de la santé, et la retraite à la moitié de la soixantaine, m’ont forcé à remettre les choses en perspective.

Non, je pense qu’à l’avenir, il faut une transition plus fluide. Il ne faut pas oublier qu’à 60 ans, on est plus aussi performant qu’avant. Passé un certain point, on se dirige vers un métier qui n’est pas tant orienté vers l’efficacité et qui n’est pas sous haute pression. C’est ainsi que la porte de Bikezone s’est naturellement ouverte. Et malgré les conséquences financières, j’ai sauté le pas. Bien sûr, en concertation avec ma femme, qui travaille désormais davantage.

Combien de temps a duré le processus, de la naissance de l’idée à la mise en œuvre du changement professionnel?

En tout, trois ans. J’ai d’abord été en contact avec un propriétaire d’un magasin de vélos, qui cherchait quelqu’un pour reprendre son activité. Mais ça n’a pas fonctionné pour une raison ou une autre. Je me suis ensuite entretenu avec une grande entreprise du secteur. Il s’agissait d’établir des business-plans et j’avais bien avancé. Mais j’avais le sentiment que ça ne me correspondait pas d’un point de vue émotionnel. Ma femme m’a alors posé la question: «Qu’est-ce qui te conviendrait alors d’un point de vue émotionnel?» J’ai alors répondu: «Je pense que Bikezone me conviendrait.» J’ai donc contacté Marco Wieser, le propriétaire, par téléphone et je lui ai demandé si ça l’intéresserait de poursuivre son activité avec moi.

Marcel Zehnder

Est-ce que tu connaissais bien ton futur partenaire?

Je connais Marco depuis toujours: nous avons participé aux mêmes courses de vélo et je lui ai acheté la plupart de mes vélos. Nous avons entretenu le contact pendant 30 ans et il s’est donc montré très ouvert à ma proposition.

Quels obstacles as-tu rencontrés durant ta réorientation?

Je me suis posé la question de savoir si je pouvais tout simplement le faire et si cela serait comme je l’imaginais. Plus on s’éloigne de son secteur, moins on sait ce qu’il en est concrètement. Il faut alors faire preuve d’humilité: est-ce purement un rêve ou est-ce ce que je m’imagine est réaliste au moins dans une certaine mesure? J’ai ensuite travailler deux jours au magasin pour prendre mes marques et l’expérience fut très positive. J’ai pu enfin prendre ma décision, après avoir pesé le pour et le contre avec ma femme.

Nous avons au cours de notre vie déjà pris de telles décisions, en privilégiant l’action à la prudence, selon la devise « Quand on veut, on peut». J’avais déjà par le passé mis ma carrière en danger pour pouvoir voyager pendant six mois. Et nous avons déjà acheter deux vieilles maisons pour les rénover nous-mêmes. Il y a avait tellement de travail sur la deuxième maison qu’on a faillit ne pas y arriver.

Et l’expérience tirée de la rénovation de ces maisons t’a également poussé à poursuivre cette reconversion professionnelle?

Oui. La question au fond est de savoir le niveau de sécurité dont j’ai besoin. Les conditions idéales ne sont jamais réunies, mais à un moment donné, il faut prendre une décision. Dans ma vie personnelle comme dans ma vie professionnelle, j’adopte en premier lieu une approche analytique, en passant en revue les faits, les avantages et inconvénients. Avec l’âge et l’expérience, cette phase prend toujours moins de temps, avant d’oublier tout ça et faire confiance à son instinct. Vient ensuite la décision. Tu n’as peut-être pas toujours raison, mais le processus est beaucoup plus rapide.

Dans un poste de direction, il faut faire attention à ne pas prendre trop de décisions instinctives, il faut s’appuyer sur des faits et des chiffres. Mais je pense que dans le cas d’une petite entreprise et en ce qui concerne la famille, la deuxième phase, l’intuition, est bien plus importante dans la prise de décisions. L’avantage principal lorsque l’on fait confiance à son intuition, c’est que l’on a après de bien plus de ressources pour mener à bien son projet.

Lorsque l’on prend sa décision uniquement en s’appuyant sur les faits et qu’il s’avère par la suite que l’on en a plus envie, alors la marge de manœuvre est beaucoup plus restreinte parce que l’on a pas de pouvoir. On est alors pas du tout prêt à dépasser ses limites. Pour cela, il faut suivre son intuition, et ne pas se limiter aux faits, pour prendre sa décision. La tour Eiffel et le tunnel du Saint-Gothard pour ne citer que quelques exemples n’ont pas été construits sur la base de décisions rationnelles.

Est-ce que ton travail est comme tu te l’imaginais?

Oui. Ce qui m’a surpris de manière positive, c’est la satisfaction que l'on éprouve à rendre les clients heureux. Ce n’est pas un aspect que j’avais rencontré auparavant: J'ai déjà rendu un homme d'affaires ou un acheteur «heureux» et c'est généralement relativement sans émotion. C’était généralement parce que j’avais respecté le budget fixé ou que la machine fonctionnait. Je peux aujourd’hui en faire l’expérience de premier plan: la joie que dégage un client qui vient d’acheter son vélo est incroyablement stimulante.

La vente pour moi a un aspect plutôt négatif. Je ne pense pas vraiment que nous vendions quoi que ce soit à qui que ce soit. L’objectif est bien entendu toujours pour le client qui se présente de trouver le meilleur vélo possible. Et lorsque cela est possible, la récompense est un client qui repart heureux.

Marco et moi sommes parfaitement complémentaires. J’apporte mon expérience en gestion et en projets, et il apporte son expérience dans le secteur du cyclisme et son histoire.

Souhaites-tu ajouter quelque chose pour terminer?

Pour revenir au point soulevé au début: pour moi, il s’agit pour notre société de trouver une solution pour permettre une transition plus graduelle au moment du départ à la retraite. La transition doit être plus facile, sur le plan financier comme personnel.

En raison de l'allongement de l'espérance de vie, l'âge de la retraite devrait de toute façon être augmenté. Parallèlement, la performance d'un salarié de plus de 60 ans ne correspond généralement plus au salaire qu'il perçoit, qui n'a cessé d'augmenter au cours des 40 dernières années. Pour nombre d’entre nous, il est encore inacceptable de voir son temps de travail et son salaire être réduits passé un certain âge, pour des raisons de fierté et de réputation. On préfère encore travailler jusqu'à sa mort. Je voulais en ce sens procéder autrement.

Marcel, un grand merci pour cet entretien passionnant.

Ce récit sur la reconversion professionnelle a été relaté par Susanne Schild pour Loopings.

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